07 février 2008

Les démocraties établies acquiescent à des élections entachées d’irrégularités et iniques par opportunisme politique, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui à l’occasion de la publication de son Rapport mondial 2008. En autorisant les autocrates à s’ériger en démocrates sans exiger qu’ils respectent les droits civils et politiques qui donnent tout son sens à la démocratie, les États-Unis, l’Union européenne et d’autres démocraties influentes risquent de miner les droits humains partout dans le monde.

Les États qui se drapent dans le manteau de la démocratie, tels le Kenya et le Pakistan, devraient garantir les droits humains qui constituent des éléments fondamentaux de ce concept, dont les droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association, ainsi que des élections libres et équitables. Pourtant en 2007, trop de gouvernements, dont le Bahreïn, la Jordanie, le Nigeria, la Russie et la Thaïlande, ont agi comme si le simple fait d’organiser un scrutin suffisait pour prouver qu’une nation est « démocratique », et Washington, Bruxelles et les capitales européennes ont participé à ce jeu de dupes, a constaté Human Rights Watch. L’administration Bush a parlé de son engagement en faveur de la démocratie à l’étranger, mais a souvent gardé le silence à propos du besoin de voir les droits humains respectés par tous les gouvernements.

« Il est aujourd’hui trop facile pour les autocrates de se tirer d’embarras en mettant en scène une parodie de démocratie », a expliqué Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch. « Et cela parce que trop de gouvernements occidentaux insistent sur la tenue d’élections et en restent là. Ils n’exercent pas de pressions sur les gouvernements au sujet des points clés des droits humains qui font fonctionner une démocratie – la liberté de la presse, le droit de se réunir pacifiquement, ainsi qu’une société civile active qui peut réellement défier le pouvoir. »

Dans son Rapport mondial 2008, Human Rights Watch passe en revue la situation des droits humains dans plus de 75 pays. Human Rights Watch a identifié de nombreux défis qui requièrent l’attention en matière de droits humains, notamment les atrocités perpétrées au Tchad, en Colombie, en République démocratique du Congo, dans la région d’Ogaden en Éthiopie, en Irak, en Somalie, au Sri Lanka, dans la région du Darfour au Soudan, ainsi que les sociétés fermées ou la sévère répression en Birmanie, en Chine, à Cuba, en Erythrée, en Libye, en Iran, en Corée du Nord, en Arabie Saoudite et au Vietnam. Des exactions dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » ont été commises dans plusieurs pays dont la France, le Pakistan, le Royaume-Uni et les États-Unis...

De graves violations des droits humains alimentent la crise humanitaire qui ne cesse d’empirer en Somalie et dans la région d’Ogaden, à l’est de l’Éthiopie. « La situation en Somalie et dans la région d’Ogaden en Éthiopie, où des millions de personnes souffrent, est une tragédie oubliée », a déploré Kenneth Roth.

Le gouvernement du Soudan est le principal responsable de la crise qui frappe le Darfour depuis cinq ans, a déclaré Human Rights Watch. Quelque 2,4 millions de personnes sont déplacées et 4 millions survivent grâce à l’aide humanitaire. Au cours des dernières semaines, des villages du Darfour occidental ont été attaqués et les civils courent de grands dangers, aucun des camps belligérants ne se souciant du droit international humanitaire.

La junte militaire de Birmanie, tristement célèbre pour des décennies d’exactions, a recouru à la force meurtrière aux mois d’août et de septembre en réponse à des mouvements de protestation pacifiques organisés par des moines, des militants de la démocratie et des civils ordinaires. Des centaines de personnes sont toujours détenues arbitrairement.

Au Sri Lanka, des combats acharnés opposant les Tigres de libération de l’Eelam tamoul aux forces gouvernementales ont mené à des attaques délibérées et aveugles à l’encontre des civils. Des centaines de personnes ont « disparu » et plus de 20 000 ont été déplacées.

Le blocus de Gaza imposé par Israël prive 1,4 million d’habitants de la nourriture, des combustibles et des médicaments nécessaires à leur survie. Ce châtiment collectif enfreint le droit international.

Des groupes armés palestiniens continuent de lancer des attaques aveugles à la roquette contre des zones habitées d’Israël, en violation du droit international. Human Rights Watch a indiqué qu’à l’approche des Jeux olympiques 2008, une pression internationale soutenue pourrait inciter les dirigeants chinois à respecter davantage les droits humains en Chine. Mais Human Rights Watch a averti que l’organisation de ces Jeux olympiques exacerbe actuellement les problèmes d’expulsions, de violations des droits du travail des migrants, et du recours à l’assignation à résidence pour réduire au silence les dissidents. Le gouvernement chinois réprime par ailleurs les avocats et les militants des droits humains.

« Les Jeux olympiques de 2008 constituent une occasion historique pour le gouvernement chinois de montrer au monde qu’il peut faire des droits humains une réalité pour 1.3 milliard de citoyens », a souligné Kenneth Roth.

Les exactions américaines à l’encontre de ceux que Washington appelle les détenus de la « guerre contre le terrorisme » sont très préoccupantes ; 275 détenus sont encore incarcérés à Guantanamo Bay sans inculpation. Certains d’entres eux ont été jugés aptes par les États-Unis à être libérés, mais se trouvent toujours là car ils ne peuvent être renvoyés dans leurs pays d’origine, et aucune nation n’accepte de les accueillir sur son territoire.

Les États-Unis continuent d’enregistrer le taux d’incarcération le plus élevé au monde, avec un pourcentage d’incarcération chez les hommes noirs plus de six fois supérieur à celui des hommes blancs.

Human Rights Watch a décrit un certain nombre d’élections manipulées de diverses façons : fraude flagrante (Tchad, Jordanie, Kazakhstan, Nigeria, Ouzbékistan) ; contrôle des mécanismes électoraux (Azerbaïdjan, Bahreïn, Malaisie, Thaïlande, Zimbabwe) ; blocage ou découragement des candidats de l’opposition (Belarus, Cuba, Égypte, Iran, Israël dans les Territoires palestiniens occupés, Libye, Turkménistan, Ouganda) ; violence politique (Cambodge, République démocratique du Congo, Éthiopie, Liban) ; répression à l’encontre des médias et de la société civile (Russie, Tunisie); et mesures minant l’État de droit (Chine, Pakistan).

Bon nombre de ces tactiques sont illégales au regard du droit national et international mais il est rare que des autorités extérieures appellent les gouvernements à rendre compte de ces actes. Human Rights Watch a constaté que les démocraties établies se montrent souvent réticentes à réagir, de crainte de perdre l’accès à des ressources ou à des opportunités commerciales, ou en raison des exigences présumées dans le cadre de la lutte antiterroriste.

Human Rights Watch a souligné que les États-Unis et l’Union européenne devraient d’une part insister pour que les gouvernements ne se bornent pas à organiser un scrutin et d’autre part exiger qu’ils respectent les droits garantis par le droit international, notamment la liberté des médias, la liberté de réunion et le vote à bulletin secret.

« Washington et les gouvernements européens semblent prêts à accepter les élections les plus contestables, pourvu que le ‘vainqueur’ soit un allié stratégique ou commercial », a fait remarquer Kenneth Roth.

Pour les États-Unis et certains de leurs alliés, il est devenu plus difficile d’exiger que d’autres gouvernements respectent les droits humains alors qu’eux-mêmes commettent des exactions dans le cadre de leur lutte antiterroriste.

Et quand des gouvernements autocratiques déjouent les critiques relatives à leurs violations des droits humains en se posant en démocrates, la défense globale de ces droits est mise en péril, a noté Human Rights Watch.

Au Pakistan, où le Président Pervez Musharraf a faussé le jeu électoral en remaniant la constitution et en révoquant les magistrats indépendants, des élections parlementaires sont prévues en février. Mais les États-Unis et la Grande-Bretagne, principaux bailleurs de fonds d’Islamabad, ont refusé de subordonner leur assistance au gouvernement à une amélioration des conditions préélectorales.

Au Kenya, les États-Unis ont au moins exprimé leur inquiétude face à la fraude apparente qui a entaché le scrutin présidentiel de décembre, ainsi que face aux violences qui, à ce jour, ont coûté la vie à plus de 700 personnes. Mais en ayant accepté les résultats des élections organisées en février 2007 au Nigeria, une nation riche en pétrole, malgré les accusations généralisées et crédibles de fraude et de violence électorale, Washington a donné l’impression à Nairobi que la fraude serait tolérée. L’administration américaine n’a même pas menacé de suspendre son aide pour pousser le gouvernement à négocier avec l’opposition.

« Le dirigeant du Nigeria est arrivé au pouvoir suite à un scrutin marqué par la fraude et la violence, et pourtant il a été accepté sur la scène internationale », a expliqué Kenneth Roth. « Il n’est pas étonnant que le président kenyan ait eu l’impression qu’il pouvait truquer sa propre réélection. »

Curieusement, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), censée promouvoir la démocratie, les droits humains et la sécurité, a accepté de confier sa présidence en 2010 au Kazakhstan, pays qui détient de vastes réserves de pétrole et de gaz convoitées tant par l’Union européenne que par la Russie. La décision de l’OSCE est survenue après que le parti kazakh au pouvoir eut « gagné » tous les sièges lors des élections parlementaires du mois d’août, à l’occasion desquelles, selon les propres dires des observateurs de l’OSCE, les médias ont été censurés, l’opposition réprimée et le comptage des voix entaché d’irrégularités.

Human Rights Watch a relevé quelques progrès en ce qui concerne l’obligation, pour les dirigeants responsables d’exactions, de répondre de leurs actes. Alberto Fujimori et Charles Taylor, ex-présidents du Pérou et du Libéria, comparaissent en justice pour leurs violations des droits humains. La Cour pénale internationale tiendra son premier procès en mai.

Le Rapport mondial 2008 comprend des essais sur la politique étrangère de la Chine ; sur la façon dont des militants ont contribué à l’établissement des Principes de Yogyakarta en faveur des droits des homosexuels ; sur le fléau de la violence contre les enfants à l’école, à la maison, dans la rue et en institution ; et sur l’érosion par le gouvernement britannique de l’interdiction de la torture, érosion liée aux « assurances diplomatiques » contre les mauvais traitements.

(Washington DC, le 31 janvier 2008)


Référence de cet article : http://hrw.org/french/docs/2008/01/31/usint17942.htm

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